Aux commandes d’un Fire Boss
Mylène a toujours voulu voler, d’abord en hélicoptère. Après une importante déconvenue au sein de l’ALAT, elle a trouvé sa voie dans l’avion, en Afrique comme « bush pilot », puis comme pilote bombardier d’eau sur Fire Boss en Espagne. Sacré parcours.
La passion de l’hélicoptère lui a fait très tôt lever les yeux vers le ciel. Pourtant, personne dans la famille n’avait « contracté » le virus jusque-là… Aujourd’hui, Mylène est, à 33 ans, pilote d’avion et professionnelle de la lutte contre les incendies, aux commandes d’un des plus gros monomoteurs : l’Air Tractor, mais en version amphibie. Cette attirance pour ce qui vole s’explique aisément : elle habitait à Lille, près d’une base de la Sécurité civile, dont les machines la survolaient en permanence. En troisième, elle fait même un stage de trois jours sur la base. Elle ne collectionne pas les maquettes ni les magazines aéro, mais, à 17 ans, comme une évidence, elle contacte un CIRFA et on lui fait cette réponse incroyable : « Faites donc des études, voler n’est pas pour vous ». Bravo au caporal pas très futé qui a failli éteindre la flamme…
Un peu sonnée, sans savoir que l’accès à la carrière n’est pas si compliqué, elle passe son bac et part en Argentine pour apprendre la langue. L’envie de piloter est intacte et la voie ingénieur aéro ne l’intéresse pas. Suivant le conseil de ses parents (ils aiment en général les plans B), elle devient ingénieur en agronomie, une autre source d’intérêt pour elle. Avec un peu plus de moyens, elle effectue un vol découverte sur R22, mais le budget qu’il faut allouer pour la suite est conséquent. L’Aviation légère de l’armée de Terre (ALAT) forme des pilotes « gratuitement », c’est l’époque des attentats de Charlie et un engagement ferait sens pour Mylène. À 24 ans, elle démarre une préparation intensive pour passer les tests ALAT.
Elle s’entraîne à fond au plus sportif, court beaucoup, dévore des livres de pilotes, militaires ou pas… Elle réussit haut la main et un bout du rêve se concrétise. « C’est parti pour une nouvelle vie. » Les premiers mois se déroulent à Saint-Cyr pour la formation des officiers, il y a encore pas mal de jeunes femmes à ce stade. À Dax, pour la formation théorique, c’est presque une formalité, il y a beaucoup d’informations à ingurgiter, mais Mylène est ultra-motivée. « On étudie et ça marche. » La phase pratique est également exigeante, mania, navigation, vol de nuit, etc. Elle va même faire un tour dans un aéroclub de Dax pour découvrir aussi l’avion, mais en Piper J3 ! Tout roule jusqu’à ce vol qui se passe mal et qui lui vaut un conseil d’instruction. La sanction tombe comme un couperet : « On n’investit plus sur vous. » La déception est à la hauteur des enjeux pour Mylène. Immense. Mais c’est une pragmatique, il est important de rebondir et de tirer des leçons. D’ailleurs, les quelques contacts de collègues qu’elle a gardés lui prouvent que tous ne sont pas aussi heureux aux commandes. Poursuivre dans l’hélico ? Elle y songe, mais les enjeux financiers lui paraissent trop importants alors que l’employabilité sera entravée par la rude concurrence des pilotes, notamment ceux formés par la Défense. Elle raccroche l’hélico. Dans l’immédiat, le choix qui s’impose est de faire une sorte de pause et de travailler ailleurs.
Quand on a volé, l’idée ne vous quitte plus
Dans sa phase d’acceptation, elle intègre une coopérative agricole à Montauban qui vend des pommes, son poste est international. L’aéroclub de Montauban est à mi-chemin entre son domicile et le bureau. Son job lui permet maintenant de revoler. « Quand on a volé une fois, l’idée ne vous quitte plus. » Cette remise en jambe s’effectue sur P2002 et DR 400. Assez vite, elle a le sentiment qu’elle peut passer pro, en avion cette fois. Ses instructeurs à Dax avaient été clairs. L’objectif immédiat est le PPL, avalé d’une traite ; après son CPL(H) théorique, toutes les notions aéronautiques lui sont familières. Reste à inscrire 175 heures de vol sur son carnet pour entrer en stage CPL. Il n’y a aucune conversion possible entre l’hélico et l’avion, elle passe l’ATPL(A). Par ailleurs, nous sommes en 2019 et les sélections Cadets d’Air France sont de nouveau ouvertes. Mylène doit donc passer l’ATPL au plus vite pour postuler.
Côté pratique, elle choisit un cursus modulaire. Pour la théorie, elle opte pour le distanciel car, dans le même temps, elle vend des pommes. Elle tente l’ENAC en section EPL/U, celle des candidats qui ont déjà un titre aéronautique. Elle manque sa cible. Entre-temps, elle vole, avec des amis, de la famille, pour partager les frais. Il faut que fin 2019, elle soit pro. Pour son stage, elle prospecte et finalement part chez DSA, en République tchèque. Et là, c’est une surprise. Le niveau de l’école est très bon avec une vraie culture aéronautique. La formation est en anglais, c’est tout ce qu’elle cherche, elle est également contente d’être à l’étranger. Il y a là déjà, en filigrane, ce goût pour l’aventure chez Mylène. Les délais sont tenus, elle sort avec deux cents heures et un anglais quasi parfait.
Envoi de CV à travers la planète
Comme tous les jeunes pilotes, elle envoie son CV un peu partout. Mais avec une expérience « low timer », c’est le silence radio côté réponse. Par le bouche-à-oreille, elle trouve pour l’été 2020 une activité de largueur para rémunérée à Moissac… Mais à cause de la COVID, la saison ne démarre pas et le projet capote. Pour le fun, elle s’investit dans l’association qui fait voler le Breguet 14, elle pourra effectuer un petit vol de 9 minutes, inoubliable pour elle…
À la fin de l’été, il faut redoubler d’efforts pour chercher un job. Par chance, elle obtient un contact avec le centre national de vol à voile de Saint-Auban. L’intérêt est que l’activité n’est plus saisonnière, le centre ne ferme qu’un mois par an, elle est prise et revole après l’épidémie. Elle va d’ailleurs y passer deux ans par intermittence. Le largage de planeurs est pour elle une nouvelle école : « En mania, l’expérience est forte et on décolle chargé, cela me servira pour plus tard. Je ne gagne rien, mais je suis logée, nourrie et, à ce moment, je n’ai pas de frais. J’ai quitté mon entreprise de pommes, mais j’habite au château Arnoux à Saint-Auban. L’expérience du planeur est unique, j’ai pu passer mon brevet sur des appareils de compétition internationale avec les meilleurs instructeurs. » Son background aéronautique continue de s’enrichir.
En 2022, elle est un peu contrainte pour conserver la validité de son ATPL de devenir IR-SE, ce qu’elle fait chez Aéropyrénées. Pendant la période largage de planeur, elle continue d’arroser la planète de son CV, elle cherche un poste dans ses compétences actuelles, mais également en Afrique pour y faire de la surveillance. Elle choisit de rester loin de tout poste en CDD ou CDI pour être libre de partir à la moindre occasion. À partir de 500 heures de vol, on commence à regarder son CV.
Et là, enfin, elle reçoit une réponse d’une ONG africaine, African Parks, qui cherche un pilote pour de la surveillance de réserves. Le CV est parvenu jusque là-bas : il faut remplacer un pilote de l’équipe pendant son mois off. Et il faut être disponible dans la semaine… Il s’agit d’un contrat de trois mois en Centre Afrique, au milieu de nulle part. le premier village est à une heure trente de vol et quand il faut faire acheminer du matériel par la route, il faut plusieurs mois. Plutôt dépaysant pour un premier job. Ce sont les seules informations dont elle dispose avant de partir. « Je cherchais l’aventure, j’avais trouvé. »
Surveiller les troupeaux en ULM
Côté machine, l’ONG exploite des ULM ; un Savannah avec un moteur Rotax 100 ch et un Ventura avec un moteur 915 iS, donc assez puissant. Ils sont équipés de réservoirs supplémentaires pour effectuer des vols de 4 à 5 heures, sans dépasser 100 heures par mois, la limite réglementaire pour les pilotes. La base est le lieu le plus loin des routes et des côtes. L’essentiel du travail est de surveiller les troupeaux mixtes de zébus et de vaches dans leur transhumance, sachant que les éleveurs mettent parfois le feu à la végétation pour faciliter ces déplacements, il faut envoyer les coordonnées aux rangers au sol, cela permet également d’identifier les routes les plus utilisées.
Ces énormes troupeaux amènent des maladies à la faune sauvage et sont en plus une compétition pour les ressources alimentaires. Mylène doit repérer également les autres animaux de la vie sauvage qu’elle localise sur une tablette pour les scientifiques. Pour son premier job, Mylène est une vraie « bush pilot ». Sur la base, il faut également se former à la maintenance des Rotax, elle va jusqu’à la 100 h, pour le reste, c’est un mécano d’Afrique du Sud qui vient faire le job.
La température est étouffante dans la journée, elle vole tôt le matin. Les ULM, on le sait, sont particulièrement sensibles aux turbulences. C’est une nouvelle leçon d’aérologie que la jeune pilote reçoit à chaque vol. Parfois, il y a des imprévus. Lors d’une rotation, le voyant « low fuel » s’allume. Il faut vite évaluer les solutions, sachant que, souvent, les options sont un fleuve ou la canopée. Mais, cette fois, elle a la chance d’être à 10 minutes de vol d’une piste bien identifiée. La réserve ne lui donne que 15 minutes de vol avec des pax à bord dans le Ventura. La panne est due à un filtre qui se bouche régulièrement entre les réservoirs et la nourrice du moteur. Au sol, Mylène change de filtre en pleine brousse, comme une grande.
Entre les hyènes, les mouches tsé-tsé et les scorpions
Durant cette vie dans la jungle, elle a eu parfois quelques surprises comme avec ce groupe de hyènes qui a traversé le camp un soir, elle, se trouvant à moins d’une quinzaine de mètres avec seulement une lampe de poche à la main… Le plus agaçant, c’était les petites bestioles comme la mouche tsé-tsé et les scorpions qui traînaient un peu partout. Elle a eu la chance de ne pas être attaquée. Au bout de quatre mois, fin de contrat. Elle retourne en France et retrouve le centre de Saint-Auban et ses planeurs. Son CV a pris de l’épaisseur, elle est toujours CPL-IR-SE, mais avec une expérience brousse. Il a d’ailleurs circulé dans l’ONG et un poste de permanent est susceptible de se libérer au Tchad. Il y a encore plus d’animaux à surveiller et il faut également transporter des touristes. Mi-2022, elle se pose la question de savoir si elle doit passer une qualification turbine. Elle renvoie son CV à toute la planète.
Bingo, cette fois, c’est un certain Juan Carlos d’une société en Espagne qui lui répond. L’entreprise est spécialisée dans la lutte contre les incendies avec une flotte d’Air Tractor, ces avions d’épandage, mais qui peuvent être équipés pour le feu. Le dirigeant a lancé un stage de formation, il lui manque un pilote et, surtout, il faut débarquer dare-dare. Par ailleurs, il faut être fluent en espagnol. Mylène avait passé son FCL.055 en espagnol, son voyage en Argentine est loin, mais elle a gardé la langue. Elle a droit à un test de mania sur C172 à train classique. Validé ! Elle intègre la formation qui va durer deux mois. La marche est… haute.
Du Savannah à l’Air Tractor
Elle passe d’un Savannah de 100 ch à l’un des plus gros mono à turbine (PT6) qui dispose de 1 600 ch. L’Air Tractor est une sacrée bestiole, haute sur pattes et flirtant avec les 7,5 tonnes en charge. « Ça paraît gros, on peut marcher sur les ailes, ça grimpe aux arbres, ça vole très bien et, surtout, il est juste à ma taille, je suis aux commandes de la version terrestre et je m’y sens bien. » Elle est basée en Catalogne, sur base. Avec son nouvel outil, elle doit apprendre à le maîtriser et à lire le feu. Cela s’apprend en faisant le travail, en écoutant les autres et en les regardant faire, sachant qu’elle n’intervient en général jamais seule dans les premières interventions. Par la suite, elle peut être en solo. C’est une aviation dangereuse : il faut gérer le vent, l’aérologie particulière des feux, les fumées, les autres appareils qui interviennent sur le même théâtre, ce à des altitudes différentes. Son expérience de tractage de planeurs va lui servir : elle a largué dans un environnement à plusieurs avions et elle a tiré une chose lourde. L’Air Tractor a un usage bien particulier : il est de la première attaque quand le feu est limité, plus le feu est petit, plus il est efficace. « Là, tu te sens vraiment utile quand tu parviens à mettre le drop au bon endroit et que tu as tapé juste. Sur les grands feux, on perd de notre efficacité, on peut intervenir pour protéger des objectifs très localisés comme une maison, par exemple, ou établir une ligne de retardant. Et on travaille en noria. On essaie de ne pas se mettre en danger, j’ai mes marges de sécurité même si, parfois, on serre un peu les fesses. »
Mylène est sur base en Espagne l’été et l’hiver, elle part au Chili. Son entreprise est sollicitée pour protéger des exploitations forestières privées. Le rythme est différent, parfois ça vole peu et cela peut être problématique pour conserver ses « skills », quand elle ne vole pas pendant 15 jours, elle ne sent pas très à l’aise. « L’avion se pilote et la mission comporte trois phases : le trajet jusqu’au feu, la partie lutte et le retour qui est plus cool, même si l’appareil est assez rustique, sans pilote automatique, et il faut le tenir jusqu’au bout. De retour sur base, si cela est nécessaire, il faut deux minutes pour charger 3 000 litres d’eau ou de retardant. »
Pour la mise en place au Chili, les pilotes les plus expérimentés se chargent des ferry flights entre les deux pays. Mylène devra attendre encore quelques années avant de s’en charger. Après deux années au sein de l’entreprise, elle participe à une nouvelle aventure depuis ce mois de janvier. La compagnie Cargolux a décidé de créer un département lutte contre les incendies. Elle a acheté 12 Fire Boss, la version amphibie de l’Air Tractor. Cargolux est appelée à signer des contrats dans divers pays. Le profil de Mylène a convaincu les dirigeants, elle est aujourd’hui basée à Valence, en Espagne. À son expérience, elle ajoute la partie hydro et écopage.
Là encore, il faut « lire » l’eau pour savoir comment effectuer les trajectoires d’écopage, il faut connaître les environnements et notamment la longueur des lacs pour évaluer la quantité possible. Mylène peut également écoper dans des retenues de barrage en montagne. « L’intérêt est qu’il n’est plus besoin de (ré)atterrir pour recharger, je trouve le lac le plus près du feu et je peux effectuer beaucoup plus de rotations et ainsi larguer une plus grande quantité d’eau. » Cette vie d’aventure convient parfaitement à Mylène même si elle le reconnaît : il y a peu d’ancrage dans la vie sociale, elle n’a pas vraiment de lieu de vie fixe, elle navigue entre les bases et les pays, sans savoir où elle sera dans quelques mois. Elle a des amis un peu partout, même si elle ne les voit pas facilement.
Côté technique, elle n’a pas encore fait le tour de l’utilisation de l’avion et de ses possibilités ; elle veut aller jusqu’au bout de cette expérience. Elle reconnaît que son profil la prépare pour éventuellement intégrer la Sécurité civile sur Dash ou Canadair. Pour l’heure, elle n’y pense pas vraiment. « Piloter seule un avion comme le Fire Boss, c’est exaltant, si ça se trouve, j’en ferai toute ma carrière. » Malgré les quelques vicissitudes professionnelles qu’elle a connues, Mylène ne changerait pas son parcours pro. De toute façon, aujourd’hui, la ligne ne l’intéresse plus. Elle a besoin de se sentir utile en l’air. L’objectif est atteint et elle en est pleinement heureuse. Pour en savoir un peu plus sur son expérience africaine, elle a édité un bouquin : « Aventures d’une jeune pilote en brousse ».
Ce portrait est extrait du magazine Aviation et Pilote, premier mensuel indépendant français d’information sur l’aviation générale, qui traite également de l’aviation commerciale et de l’aviation d’affaires à travers ses rubriques: 12 numéros par an + 1 hors-série dédié aux formations et métiers de l’aérien. Aviation et Pilote est aussi organisateur du Salon des formations et métiers aéronautiques.
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