Après la brousse, la ligne
Il a commencé par le planeur avant de fréquenter un peu plus tard les pistes en latérite du continent africain sur des avions d’aviation générale. Apprenant son métier au fil de ses expériences, Nicolas sillonne maintenant le monde de nettement plus haut, sur Boeing 777.
Il y songeait depuis longtemps. Depuis l’âge des maquettes et des histoires d’aviation racontées par ses deux grands-pères. Nicolas est aujourd’hui, à 34 ans, copilote sur Boeing 777 au sein d’Air France, non sans s’être forgé avant une expérience de pilotage prolifique et exaltante. Premier contact réel avec l’aviation en 2005 : un stage de planeur et le BIA quand il est encore au lycée. Il envisage d’être pilote de chasse. Après son PPL en 2008, alors qu’il est en prépa, Nicolas rencontre quelques pilotes militaires et convient que ce n’est pas pour lui, il se voit plutôt pilote de ligne en passant par la brousse. En fin de cursus, en 2011, il tente l’École nationale de l’aviation civile (ENAC) sans succès.
C’est l’époque des vaches maigres pour le transport aérien et il n’y a quasiment plus de places au sein de l’école. Mais sa vie ne saurait être ailleurs que dans un cockpit. Il part pour Montpellier afin de préparer l’ATPL à l’ESMA et une licence de physique. À ce moment, se pose pour lui (et comme pour beaucoup d’autres) la question de la formation aux USA ou au Canada. Il trouve le cursus trop long pour être opérationnel. Il reste en France. À l’été 2013, il retourne à Gap pour faire son mûrissement, il y était déjà allé un an plus tôt pour du remorquage planeur. En septembre 2013, il choisit l’école Méditerranée Air Training (MAT) pour sa formation professionnelle, en février, il a déjà validé toutes ses qualifications avec 220 heures de vol, bien trop peu pour intéresser une compagnie.
5 CV envoyés par jour
Il envoie néanmoins 5 CV par jour dans presque tous les coins de la planète et retourne en montagne à l’été 2014 pour refaire du remorquage, mais il vole très peu, six à huit minutes par remorquage. Cette fois, il apprend plus de choses, le pilotage aux fesses, et notamment à être opérationnel dans toutes les phases de vol, recherchant la performance. Devant le peu de réponses des compagnies, il dépose un dossier pour la bourse du Tomato afin de devenir instructeur… Il retente l’ENAC et n’est pas retenu à cause de l’anglais. Au dépôt du dossier, il reçoit une réponse d’une compagnie africaine « Arc-en-Ciel Aviation », au Sénégal. Son dirigeant a également fait du remorquage et du vol montagne ; le parc avions est fait de PA-28, PA-32, Seneca et Cessna C208 et Cheyenne 3 à turbine. Le Tomato va finalement lui payer la QT.
En décembre 2015, il est à Dakar avec ses galons et intègre la compagnie. qui effectue des vols Evasan pour de grands groupes d’assurance, mais également des vols VIP au profit d’entrepreneurs locaux, et ce pour tous les pays d’Afrique de l’Ouest. Pour son premier job réel de pilote, il découvre la polyvalence des petites compagnies : dispatch, agent d’ops, pilote, mais celle-ci est au standard EASA. L’aventure commence, il se pose aussi bien sur l’aéroport international de Dakar que sur une rudimentaire piste de brousse, allant un peu partout, Mali, Burkina Faso. Pour son premier vol, il pose ses roues sur une piste perdue après de mines d’or de Sabodala, au 650 km au sud-est de Dakar. Il fréquente l’hôtel de la Poste, cher à Mermoz, à Saint-Louis, emporte des membres de l’Union européenne, le plus souvent en monopilote. Parfois, durant quelques mois, il transporte des chercheurs et des pêcheurs au-dessus de l’archipel des Bijagos, en Guinée-Bissau. Les vols sont grandioses et il loge à l’Ecolodge de l’île de Rubane.
Passage près d’un cunimb
Il apprend aussi la météo… Il est même passé très près d’un cunimb de nuit avec une panne de radar. L’actrice Jolene Blalock (de Star Trek), qui était à bord, lui est tombée dans les bras à l’atterrissage. À cette époque, il dépasse les 1 000 heures et ne veut pas finir en Afrique ; il vise avant tout la ligne, sans l’image du pilote de brousse. Son CV est maintenant bien plus vendeur. Il obtient un entretien avec SiAvia pour des opérations en France au sein de la compagnie Enhance Aero (liquidée depuis) qui vole sur Embraer 145, dont certains de Régional. Sa qualification sur jet est prise en charge, mais il faut s’accorder avec les délais de Flight Safety. Sa QT est prévue pour le mois d’août 2016. Il dispose d’un peu de temps libre et se voit proposer par relation une mission particulière de surveillance et de recensement des cétacés au large de la Cornouaille et des côtes françaises entre juin et juillet 2016. C’est un programme européen assuré par la compagnie Pix Survey et il faut parfois voler à 600 ft à 80 kt pour que les chercheurs puissent compter les animaux. Nicolas a aimé cette ambiance de vie en autarcie ; il a même survolé la rade de Brest…
En août, comme prévu, il entre en QT Embraer et est embauché par la compagnie Enhance, sans aucune expérience réacteur… Cette fois, il fait connaissance avec le métier de pilote de ligne, avec une hôtesse à bord. Pas de lignes régulières, il vole essentiellement pour des équipes sportives en Europe. Nicolas n’est pas dépassé : l’EMB 145 est assez proche du Cheyenne en matière de sensations. Il apprend assez vite. Mais rapidement, l’activité de la compagnie baisse et, à partir de mai 2016, il ne vole plus que 20 heures par mois, il décide de migrer vers Regourd Aviation qui effectue les mêmes missions. Il est embauché en juillet 2017, retrouvant des ex-collègues de sa précédente compagnie. Entre-temps, il a passé les sélections chez HOP comme bon nombre de candidats et, en janvier 2018, il entre chez HOP, filiale du groupe Air France, c’est presque la consécration pour l’ex-pilote de brousse. C’est en tout cas une bonne stratégie pour être embauché au sein de la maison mère. Il entre encore un peu plus dans le métier de pilote de ligne, mais cette fois pour le régulier.
Son avion sort de flotte
Il est d’abord basé à Lyon, puis demande Orly en mars 2019. Il vole toujours sur EMB 145 jusqu’au moment où tout s’arrête pour motif de COVID. De plus, HOP fait sortir les Embraer 145 de la flotte. C’est une grande phase d’incertitude pour Nicolas qui a passé une partie des sélections en externe. Mais Air France a maintenu les embauches pendant la crise, même s’il n’a pas de nouvelles de sa sélection. Toutefois, il apprend que la compagnie nationale a relancé la « passerelle » pour les pilotes de HOP. Ce dispositif permet aux pilotes des régionales de passer une sélection adaptée et d’entrer dans la grande maison par la petite porte, il réussit la deuxième partie en interne et, en même temps, HOP lui propose de passer la qualification de type pour la principale monture de la régionale : l’E-Jet d’Embraer.
En attendant Air France, Nicolas va voler un an sur cet appareil en étant basé à CDG, il fait le programme de vol des Airbus A320 : Allemagne, Finlande, Norvège, Italie, etc. L’avion est un peu méconnu, mais très répandu aux USA. Il prend plaisir à voler sur une machine parfaitement conçue qui lui rappellera le Boeing 777 un peu plus tard. Finalement, son tour vient. Il parvient à intégrer Air France en étant détaché à Transavia avec un nouvel avion, le Boeing 737 NG. Les instructeurs le préviennent : c’est un avion plus basique qui demande de bien connaître les systèmes. Il parle peu, mais finalement, Nicolas a adoré la machine, tout comme le réseau qui est très exigeant avec des météos qui lui rappelaient les vols en Afrique. Et surtout, il a adoré également l’ambiance dans cette compagnie, très gratifiante.
Installé sur le moyen-courrier, Nicolas songeait bien au long-courrier d’ici quelques années, mais en 2023, il répond presque mécaniquement aux appels d’offres récurrents de la compagnie pour ceux qui veulent évoluer. Mais finalement, après seulement un an et demi à Transavia, il est accepté et la nouvelle monture sera le triple 7. C’est le rêve absolu et une très grande fierté après un parcours de véritables aviations types bush pilots. Il est lâché en janvier 2024. C’est une nouvelle vie qui commence avec « seulement » quatre vols par mois. Il goûte à la quintessence du métier, avoir un vrai rôle pour relier les hommes et faire passer la ligne. Mais le triple 7 est une machine imposante et par ailleurs, compte tenu du rythme, il pose l’avion plus rarement, compte tenu des équipages.
Sur le moyen-courrier, l’habitude donne plus vite au pilote un haut degré d’expertise. En long-courrier, le fait de poser l’avion moins souvent demande de travailler beaucoup plus les rotations en préparation. Nicolas sent également que la qualité de son hygiène de vie est importante. Il lui faut gérer son sommeil et son énergie. Mais en regard de cela, il reste toujours émerveillé quand il voit le reflet de cet avion immense dans les vitres des aérogares. Et bien sûr si c’était à refaire, Nicolas emprunterait sans doute le même parcours : l’apprentissage par le terrain et la montée en compétences avant le long-courrier et tout ce qu’il exige.
Ce portrait est extrait du magazine Aviation et Pilote, premier mensuel indépendant français d’information sur l’aviation générale, qui traite également de l’aviation commerciale et de l’aviation d’affaires à travers ses rubriques: 12 numéros par an + 1 hors-série dédié aux formations et métiers de l’aérien. Aviation et Pilote est aussi organisateur du Salon des formations et métiers aéronautiques.
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